Djasans
Patois Jurassien

Djasans Patois Jurassien

Publié dans le Quotidien Jurassien le 21 février 2025

Éloge funèbre

An soénne en lai poûetche. I raivoéte drie l’ ridé : ç’ât not’ véye tiurie. Qu’ât-ce qu’è m’ veut ? I l’ fais entraie.
È poénne sietè, è m’ dit :« Ât-ce que t’aiccepterôs de djasaie è mon entier’ment ? » I n’ m’aittendais pe è çoli. I aî v’lu r’fusaie. I trovôs totes soûetches d’éstiuges. « Vôs saîtes qu’i n’aî pus botè les pies â môtie dâ mon mairiaige. »
-  Èt peus quoi 
- Tchie nôs, nôs sons des Roudges. Mon grant-pére était maire. Èl ât aivu poétchè en lai mairie poi les Roudges. Les Nois étïnt graingnes. Ès nôs en aint brâment v’lu.
- Le Bon Dûe n’ât ne Roudge ne Noi.
- Èt peus, qu’i yi dis en lai fïn, vôs èz temps d’y sondgie en vot’ entier’ment.
- I peus paitchi d’ènne menute en l’âtre. An n’ sait ne le djoué ne l’hoûere.
- Poquoi vôs n’ demandèz pe en yun di Conseil de bairoitche o bïn en ïn membre d’ lai Sïnte-Cécile ?
- I aî mes réjons.
- È fârait qu’i vôs coégnécheuche ïn pô meu.
- T’ n’és qu’è v’ni.

I seus t’allè tchie lu pus d’ïn côp. I aî pus écoutè que quèchtionnè. Le véye hanne que musait en lai moûe m’é aippris lai vétyaince. Ç’ât en grôs ç’ qu’i aî dit en son entier’ment. Le môtie était pyein. È y aivait ataint d’ Roudges que de Nois.


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Éloge funèbre

On sonne à la porte. Je regarde derrière le rideau : c’est notre vieux curé. Qu’est-ce qu’il me veut  ? Je le fais entrer. À peine assis, il me dit :« Est-ce que tu accepterais de parler à mon enterrement ? » Je ne m’attendais pas à ça. J’ai tenté de refuser. Je trouvais toutes sortes d’excuses. « Vous savez que je n’ai plus mis les pieds à église depuis mon mariage. »
- Et alors 
- Chez nous, nous sommes des Rouges. Mon grand-père était maire. Il avait été élu à la mairie par les Rouges. Les Noirs étaient furieux. Ils nous en ont beaucoup voulu.
- Le Bon Dieu n’est ni Rouge ni Noir.
- Et puis, lui dis-je à la fin, vous avez le temps d’y songer à votre enterrement.
- Je peux partir d’une minute à l’autre. On ne sait ni le jour ni l’heure.
- Pourquoi vous ne demandez pas à quelqu’un du Conseil de paroisse ou à un membre de la Sainte-Cécile ?
- J’ai mes raisons.
- Il faudrait que je vous connaisse un peu mieux.
- Tu n’as qu’à venir.

Je suis allé chez lui plusieurs fois. J’ai plus écouté que questionné. Le vieil homme qui pensait à la mort m’a appris la vie. C’est en gros ce que j’ai dit à son enterrement. L’église était pleine. Il y avait autant de Rouges que de Noirs.

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